L'histoire De son avènement jusqu'à
sa déchéance, le film raconte la vie tourmentée de
Jake La Motta, surnommé Raging Bull, ancien champion du monde poids
moyen de boxe. Homme schizophrène, paranoïaque et terriblement
violent, il perdra tout, de sa femme à son propre frère et
se retrouvera seul à faire la tournée des night clubs, pourchassé
par ses vieux démons.
Impression Lorsque Scorsese s'attaque au projet Raging
Bull, il vit la pire période de sa vie. Il sort de l'échec
cuisant de New York, New York, son second mariage vient de sombrer,
et physiquement, il est très usé par la consommation de drogues
et les virées interminables avec son ami Robbie
Robertson. C'est un homme détruit qui se retrouve à l'hôpital
à demi mort. Robert De Niro lui rend visite pour le pousser à
faire ce film sur la biographie d'un ancien champion du monde de boxe.
L'aspect auto-destructeur du personnage fascinera Scorsese en tout point.
La Motta est l'archétype même du personnage scorsesien. D'ailleurs,
Scorsese ne souhaite pas faire une "film de boxe", il déteste ce
sport : "Qu'est-ce qu'il y a de plus primaire que de gagner sa vie en cognant
un autre type sur la tête jusqu'à ce que l'un des deux tombe
ou arrête ?", déclare-t-il. Pour De Niro, par contre, interpréter
le rôle d'un boxeur à Hollywood, c'est le passage obligé
de tout grand acteur. La transformation physique et mentale du personnage
sera aussi pour lui le plus grand challenge d'une carrière débutée
dix ans auparavant. Les deux hommes s'expatrient sur une île pour
retravailler le scénario de Paul Schrader et Mardik Martin. A son
retour, le cinéaste est quasi requinqué. Il a regrossit,
arrêté la drogue et vit une romance avec la sublime Isabella
Rossellini (il l'épousera pendant le tournage, le 30 septembre 1979).
Le film peut commencer...
Ce qui frappe dès les premières
images, c'est le physique de Robert De Niro. Il nous apparaît énorme,
bouffi, le visage meurtri et un cigare vissé au coin de ses lèvres.
A n'en pas douter son personnage a vécu de terribles souffrances.
Puis, un rapide flash-back nous amène vingt ans auparavant, au beau
milieu d'un ring. Cette fois l'allure de l'acteur est celle d'un champion,
le regard est clair, la musculature est impressionnante. Puis la violence...
Inouïe. Jamais un combat de boxe n'a été filmé
de manière aussi crue. Le choc des poings sur les visages, les flashs
incessants des appareils photos, les commentaires monocordes des journalistes,
les cris de l'assistance, tout, absolument tout, nous saisit, pour nous
placer à notre tour sur le ring pour y subir la violence primaire
d'un combat de boxe. Je m'étale sur ces cinq premières minutes,
car tout le film est présent dans ces deux séquences stupéfiantes.
La mise en scène est un modèle du genre. La caméra
virevolte autour des personnages, entre opéra et documentaire. Réalisée
par le très brillant Michael Chapman, la photo en noir et blanc
du film est une merveille et la texture de l'image crée d'elle-même
un malaise : est-ce du sang ? est-ce de la sueur ? La gestion du temps
est aussi un aspect fondamental des scènes de combats. Lié
au son et à l'image, le temps est tour à tour accéléré,
quand on reçoit le cuir du gant de boxe en pleine face, et figé,
quand le corps s'écroule sur le ring. Pour son incroyable travail
de montage, Thelma Schoonmaker recevra un Oscar mérité pour
le film. Le parti pris de filmer les combats de l'intérieur du ring,
est du au refus du cinéaste de montrer l'aspect frontal et traditionnel
de ce genre de spectacle. C'est aussi une évidence qu'il souhaite
par ce biais responsabiliser le spectateur quant à l'atrocité
dont il est le témoin impuissant. S'il est possible de le faire,
nous pourrons, de fait, comprendre, et excuser, l'attitude de La Motta
dans la vie. Tel un autre combat de boxe, le rythme des séquences
hors ring montrant Jake La Motta, est orchestré entre instants de
calmes et scènes de violences insupportables. Toute l'ambiguïté
du personnage de La Motta est là, dans son incapacité à
prendre le recul nécessaire entre sa vie et son métier. Si
le personnage mérite tout de même que l'on s'apitoie sur son
sort, c'est par son incroyable naïveté, défaut totalement
enfantin s'il en est. Il ne peut se résigner à pactiser avec
la mafia, alors que la réussite de sa carrière en dépend.
Ses doutes quant à la fidélité de son épouse
sont d'une telle bêtise qu'ils en deviendraient presque comiques,
si La Motta ne finissait pas par briser sa vie à cause d'eux. Et
lorsqu'il se retrouve face à lui-même, devant son miroir,
lors d'une dernière scène poignante, c'est un homme meurtri
mais libéré du poids de ses fautes qui remémore sa
vie, en citant les dialogues déchirant du film d'Elia Kazan Sur
les Quais (On the Waterfront) que l'on croirait tout droit sortis
d'une conversation entre son frère et lui.
Vous l'aurez compris, Raging Bull, considéré
par beaucoup (dont votre serviteur) comme le plus grand film de Martin
Scorsese, est un pur chef-d'oeuvre. Comme il est difficile et inutile d'étaler
une suite de superlatifs en détaillant chaque aspect du film, de
l'interprétation à la technique du tournage, du scénario
à la post-production, je m'en vais arrêter là, en vous
conseillant si ce n'est déjà fait de vous procurer de toute
urgence le film (si possible en dvd), afin
de voir et revoir, ce sommet immortel du cinéma.
Autour
du film
La quasi traditionnelle apparition du cinéaste
est, ici, pratiquement invisible. Il est l'employé du night club
qui informe à La Motta de sa prochaine entrée en scène,
lors de la séquence finale. On ne voit que la moitié de sa
silhouette, son visage est hors champ. Par contre la voix est identifiable.
On a beaucoup parlé de la transformation physique
de De Niro, gagnant 30 kilos pour composer le rôle d'un La Motta
bouffi. On sait moins qu'au départ il devait porter une prothèse
pour paraître énorme. Prothèse qu'il refusa. Pendant
trois mois il voyage entre l'Italie et la France pour s'empiffrer de nourriture
plus riche les unes que les autres. Il garde des séquelles de cette
expérience épuisante, par un cou devenu un peu plus gros
que d'origine. Notons qu'il acceptera de porter une prothèse pour
sa composition de Al Capone dans Les incorruptibles de Brian De
Palma.
Le film rencontrera un énorme succès
critique, et deux Oscars à la clé (montage et meilleur acteur)
sur six nominations. Plus tard, le film sera élu meilleur film américain
des années 80, après un référendum effectué
auprès de critiques US. Curieusement, ce n'est pas le premier film
cité en référence du cinéaste, les biographies
lui préférant un des autres chef d'oeuvre du maitre : Taxi
Driver.
Raging Bull est dédié à la mémoire
de Haig Manoogian (1916-1980) qui fut le professeur de Scorsese à
l'université de New York, et son premier producteur. L'hommage s'achève
par ces mots : "Avec amour et détermination, Marty."
Il faut évoquer la magnifique musique revenant
tout le long du film. Il s'agit d'un air classique du compositeur italien
Pietro Mascagni (1863-1945), Cavalleria Rusticana (1890). Il s'agit là
d'une des musiques les plus émouvantes jamais utilisée au
cinéma.